Lettre à ma fille

lettre a ma fille cote a cote

Ma fille, ma poupée, ma jolie,

Pour Noël, je t’emmène chez ABC Famille, les jouets qui font les vraies filles. Regarde cette vitrine, et choisis ce que tu voudras !

Vois toutes les carrières qui s’offrent à toi : ballerine en tutu rose comme ce petit rat ou cette danseuse de boîte à bijoux qui virevolte sur une ritournelle. La danse c’est la grâce, la beauté, la perfection du corps, c’est la féminité, et c’est ce que je veux te léguer… Fais tant que tu le veux ce rêve d’étoile gracile, on te forcera bien assez à l’école aux sports qui poussent à la performance voire à l’agressivité et créent du muscle, un corps puissant et masculin.

Tu pourrais devenir un garçon manqué. Quel homme voudrait alors de toi quand tu seras grande ? Tu serais même tentée de devenir lesbienne mais je t’expliquerai ce mot plus tard, je ne veux pas qu’il te donne de mauvaises idées.

Oui ma chérie, tu rencontreras un homme avec qui tu te marieras, auras beaucoup d’enfants et vivras heureuse jusqu’à la fin de tes jours mais ça c’est en option.

Cette magnifique robe rose avec des cœurs, c’est la conjugalité. Sans homme, une femme n’est pas une vraie femme.

Mais avant de faire la rencontre de ta vie, il faudra te faire belle, la beauté est le pilier de la féminité, enfin l’un des piliers (tu verras, il y en a pas mal). Cette poupée Barbie, c’est la fâââme parfaite. Tu lui ressembleras plus tard à coup de chirurgie plastique, régimes, soins cosmétiques et conséquents budgets dévolus à l’esthétique de ton corps.

Et n’oublie pas les accessoires, c’est à ça qu’on reconnaît l’élégance d’une femme. Ah l’élégance ! Je ne t’en avais pas encore parlée ? Eh bien sache que même en gagnant 24% de moins qu’un homme, un sac coquet, une belle garde-robe comme dans cette vitrine, c’est bien le moins qu’on exigera de toi, sans oublier les bijoux, la jolie palette de maquillage et cette petite fiole de cosmétiques. La séduction se cache dans les détails, même le manteau de ton chien-accessoire devra être assorti à ton sac à main ! Pense à Paris Hilton et à son chihuahua et tu auras une meilleure idée de ce qu’est l’élégance.

C’est alors que parée de ta belle robe de princesse et de tes pantoufles de vair tu iras au bal, timide, peu sûre de toi, de ton physique, de ta légitimité. C’est bien d’être modeste, c’est une qualité féminine. Si, avant les 12 coups de minuit, fuyant le bal comme une fille vertueuse (ah oui ! il y a des filles qui ne sont pas vertueuses, on les traite d’in-femmes) tu perds une chaussure, ne t’en fais surtout pas, ne cherche pas à résoudre le problème par toi-même. Il y aura toujours un homme pour te sauver, au hasard un prince, si possible charmant mais il ne faudra pas non plus être trop exigeante. Bref, il y aura toujours un homme pour t’enfiler ta pantoufle à toi et pas à une autre car les autres femmes, jalouses et méchantes, se battront pour obtenir les faveurs du même prince que toi, notamment si elles s’appellent Anastasie et Javotte. Toutes les femmes sont tes rivales surtout celles qui ont des prénoms chelou. Mais tout finira bien, ton prince charmant t’emmènera sur son beau cheval blanc, ou en voyage de noces aux Seychelles, regarde, tout est prévu, une valise rose (à paillettes) est déjà prête.

Alors vous aurez beaucoup d’enfants comme ce joli poupon. Il porte du rose c’est donc une fille ! Tu la câlineras, langeras, nettoieras, nourriras à toi toute seule. Ne t’en fais pas, son papa te laissera le soin quasi exclusif de toutes ces tâches !

De même qu’il te laissera la souveraineté de ton royaume, la maison, toi qui veux être une princesse, tu vas être comblée ! Ce magnifique château rose est à toi – attention son plafond est en verre – ainsi que cette splendide cuisine, tout y est : le four, l’évier, le frigo, le micro-onde. Je te vois déjà si heureuse à la limitation de tes ambitions !

Et puis je sais que tu aimes tant les animaux, non pas que je veuille te pousser à être vétérinaire, les études ça fait mal à la tête et ton mari est là pour gagner le revenu du ménage. Non, je parle de ces animaux à câliner comme des enfants. Comme ce petit chat blanc, enfin, avec du mascara, une barrette et un foulard (rose, au hasard), je devrais plutôt dire chatte mais c’est comme les chiens, les cochons et tout un tas d’autres mots, évite de les dire au féminin, ça devient vite sale.

Et n’oublions pas le poney, c’est tellement important les poneys ! Enfin pas pour apprendre l’équitation, plutôt pour apprendre la coiffure. Tu as vu ? On peut lui faire des mèches ! Oui des mèches roses ; ou des balayages, je ne suis pas sectaire. C’est bien qu’à 7 ans tu connaisses déjà le vocabulaire de la coiffure, parce qu’à 14 ans, ton conseiller d’orientation va invariablement te proposer la section coiffure, alors que tu n’as rien demandé. Mais bon, tu vas trouver ça limite logique.

Attention, je tiens tout de même à ce que tu aies quelques activités intellectuelles, tu verras, tu seras bien contente d’avoir des sujets de bavardage avec tes copines ou d’approbation admirative pour ton prince. Je t’offre ce livre plein de sagesse « le monde merveilleux de mes 7 ans ». Souviens-toi, je te disais que l’humilité était une qualité indispensable pour une fille. Ce livre t’en fait la démonstration : Il était une fois une fille sur un bateau « aussi hautaine que jolie ». Tout l’équipage masculin la détestait mais était bien obligé de la supporter car c’était la fille du capitaine. Les membres masculins de l’équipage lui prouvèrent que l’autorité au féminin, c’est de l’arrogance. Elle devint donc douce et soumise comme une vraie fille, comme toi. A partir de là l’équipage finit par l’accepter ! Etre acceptée, c’est plus important que s’affirmer, tu verras !

C’est aussi ça la féminité, les amputations successives de traits de ta personnalité, le sacrifice des principaux attributs de pouvoir et chacun à sa place, garçons et filles en toute inégalité.

Alors tu me diras, pourquoi tout ce rose ? Mais pour que tu voies la vie de cette couleur car de l’optimisme il t’en faudra une sacrée dose pour vivre ta vie de femme.

Ta maman